Point d’actualité : Les récentes modifications de la réglementation française en matière de promotion des ventes par les prix

{Par Sarah Temple-Boyer, Avocat
Et Sylvia Spalter, Avocat Associé
Association d’avocats BMS’- Paris
[->www.bms-avocats.com]}

{{1) Soldes : pas de changement}}

Alors que le pré-rapport de la Commission Attali du 15 octobre 2007, appelait à la suppression de la réglementation sur les soldes pour redynamiser le commerce en France, le rapport définitif « {pour la libération de la croissance française} » rendu public le 24 janvier 2008 ne s’y réfère plus et milite pour la suppression de l’interdiction de revente à perte (décision 203) pour aboutir à une baisse significative des prix à la consommation, « {de telle manière qu’en pratique, les consommateurs pourront bénéficier de soldes toute l’année} ».

D’autre part, le 31 janvier 2008, un groupe de travail a été constitué sous l’égide de Christine Lagarde, Ministre de l’Economie, sur les différents mécanismes de réduction de prix qui coexistent de manière un peu anarchique dans le système français, soit dans le cadre d’opérations commerciales ponctuelles (soldes, ventes privées, offres promotionnelles…), soit de techniques de vente spécifiques à certains canaux de distribution (e-commerce, hard discount, magasins d’usine….). Ce groupe est chargé d’émettre des propositions pour clarifier et améliorer les mécanismes de réduction, pour plus de transparence et un gain de pouvoir d’achat. Ce rapport devrait être rendu public le 29 février prochain.

{{2) Revente à perte : modification du seuil}}

Le rapport de la Commission Attali (décision n°203) rendu le 24 janvier 2008 préconise la suppression de l’interdiction de la revente à perte, pour une « {baisse significative} » des prix des produits de grande consommation ; seule la pratique de prix « {prédateurs} » par des entreprises en situation de position dominante demeurerait interdite.

La loi Chatel n°2008-3 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, publiée le 3 janvier 2008, n’a néanmoins pas supprimé l’interdiction de la revente à perte ; cependant, le seuil (« {SRP} ») est sensiblement abaissé, avec le même objectif de baisse corrélative des prix au consommateur.

{ {{a) Nouvelle rédaction de l’article L.442-2 du Code de commerce}} }

L’article L.442-2 du Code de commerce modifié par la loi Chatel détermine « le prix d’achat effectif » de la façon suivante : « {Le prix d’achat effectif est le prix unitaire net figurant sur la facture d’achat, minoré du montant de l’ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d’affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport} ».

Est ainsi institué le « {{ {triple net} }} » pour déterminer le SRP en deçà duquel le distributeur ne peut revendre le produit. Doivent donc être déduites du prix tarif HT:

– les réductions de prix (rabais, remises) acquises au moment de la vente par le distributeur (= 1er « net ») ;

– les remises conditionnelles (ristournes) non acquises au moment de la vente (= « double net »)

– et enfin, l’intégralité des rémunérations versées par le fournisseur au distributeur au titre des « {autres avantages financiers} » (principalement les montants perçus en contrepartie de services de coopération commerciale et services distincts) (= « triple net »).

Jusqu’à présent, seuls les montants de service de coopération commerciale excédant un pourcentage (de 20% en 2006, et de 15% en 2007) du prix unitaire net du produit pouvaient être déduits.

Le prix « trois fois net » est ensuite majoré des « taxes sur le chiffre d’affaires, taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix de transport ».

Outre la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), le terme générique de « taxes » fait également référence aux taxes spéciales selon des taux spécifiques, comme la taxe sur les huiles alimentaires, les redevances sanitaires d’abattage et de découpage, etc… A ces taxes spéciales, s’ajoutent également les taxes « indirectes » grevant, notamment, les boissons alcoolisées ainsi que les produits pétroliers.

{ {{b) Difficultés d’interprétation}} }

La construction de l’article L.442-2 du Code de commerce a été modifiée, dans le sens d’une inversion des opérations de « minoration » et de « majoration » ; le prix unitaire net est d’abord minoré des avantages financiers, puis majoré des taxes diverses pour obtenir le prix d’achat effectif.

Ce changement de construction soulève une difficulté d’interprétation quant au fait de soumettre, ou non, les « avantages financiers » à la TVA. Le nouveau texte était pourtant censé résoudre la question : « (…) ce changement [de construction de l’article] a pour objet de lever l’incertitude qui pesait sur la question de savoir si les avantages financiers doivent être pris en compte hors taxes ou taxes incluses, notamment la TVA » (extrait du rapport à l’Assemblée Nationale le 15 novembre 2007 de M. Raison, Député). Mais, au lieu de clarifier la situation, la nouvelle rédaction alimente encore la controverse.

En l’absence de prise de position à ce jour de la DGCCRF ou de la DLF (Direction de la Législation Fiscale) sur le traitement à réserver à la TVA au titre des « avantages financiers » dans ce nouveau contexte législatif, nous avons choisi, pour poser le débat, de prendre les deux hypothèses : dans le premier cas, les avantages financiers (hors TVA) sont soustraits du prix unitaire net minoré alors que, dans le deuxième cas, les avantages financiers sont pris en compte, TVA comprise.

Hypothèse 1 :
Prix d’achat HT : 100
Montant des avantages financiers HT :
(remises, rabais, ristournes, et marges arrière)
50
Seuil minoré avant majoration : 50
SRP (après majoration des taxes à 19,6%) : 59,8
TVA collectée par le distributeur au moment de la revente au consommateur : 9,8
TVA déductible au titre de l’achat du produit : 19,6
Crédit TVA : 5,88
 
Hypothèse 2 :
Prix d’achat HT : 100
Montant des avantages financiers TTC :
(remises, rabais, ristournes, et marges arrière majorées de la TVA)
50 x 19,6%= 59,8
Seuil minoré avant majoration : 40,2
SRP (après majoration des taxes à 19,6%) : 48,07
TVA collectée par le distributeur au moment de la revente au consommateur : 7,8
TVA déductible au titre de l’achat du produit : 19,6
Crédit TVA : 11,8


La logique fiscale conduit à rejeter la seconde hypothèse de calcul – qui accroît significativement le crédit de TVA ; mais le débat est ouvert et nous remercions tout lecteur qui le souhaite de contribuer à cette discussion.

* * *
Toujours est-il que l’abaissement du SRP (TVA comprise ou non), par la loi Chatel, est significatif comme le montre le comparatif suivant :
– prix unitaire net facturé (remises déjà déduites) = 100 euros
– pourcentage (en prix unitaire net) de la coopération commerciale = 43%
SRP en 2005 avant la loi du 2 août 2005: 100 (x19,6%)* = 119,6
SRP en 2006 : 100 – (43-20) : 77 (x19,6%)* = 92,09
SRP en 2007 : 100 – (43-15) : 72 (x19,6%)* = 86,11
SRP d’après la loi Chatel : 100 – 43 : 57 (x19,6%)* = 68,17
* ou majoré du taux réduit de TVA de 5,5% pour certains produits

{{3) Le principe affirmé de libre négociabilité des prix entre fournisseurs et distributeurs}}

{{Le 12 février 2008}}, la Commission constituée en octobre 2007, sous la Présidence de Madame Marie-Dominique Hagelsteen (ancienne présidente du Conseil de la concurrence) pour réfléchir à la libre négociabilité des tarifs (également préconisée par la commission Attali) a rendu son rapport.

Dans ses conclusions, la Commission relève que l’encadrement législatif de la négociation fournisseur-distributeur – pour protéger le fournisseur – a eu pour effet contraire de « {favoriser la rigidité tarifaire} » et de contribuer à l’accroissement des marges-arrière, terrain le moins visible de la négociation. La Commission Hagelsteen, sans souhaiter la suppression de la législation existante, préconise «{ des modifications législatives, ciblées mais limitées} » ; en réaffirmant le principe énoncé par l’article actuel L 441-6 du Code de commerce selon lequel « {les conditions de vente sont le socle de la négociation} », mais en préconisant la suppression du renvoi « à un Décret » pour préciser les critères selon lesquels peuvent être déterminées les différentes catégories d’acheteurs (différences qui justifient la mise en œuvre de conditions différenciées), reprenant ainsi la position exprimée par la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales dans son Avis n°07-01 visé dans son rapport d’activité 2006/2007.

Dans la même logique du principe de « {libre négociabilité} », la Commission propose d’abroger le 1° du I de l’article 442-6 du Code de commerce qui prohibe les conditions de vente (et d’achat) différenciées (prix, délai de paiement, etc…) en l’absence de « {contreparties réelles} » et l’aménagement « par souci de coordination » du 4° du même article qui prohibe le fait d’obtenir (ou de tenter d’obtenir) sous la menace d’une rupture brutale des relations commerciales des conditions « {manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente }», la Commission soulignant que « {la négociabilité des conditions générales de vente implique la possibilité de dérogations} », seuls les abus devraient être sanctionnés.

Non sans prudence, la Commission conclut sur la nécessité d’élaborer « {un cadre permettant de rééquilibrer les relations entre les fournisseurs, notamment les PME et les distributeurs} » sous la forme « {d’un code de bonne conduite} » que les distributeurs s’engageraient à suivre ; dans la perspective d’une « {pacification des relations commerciales} » que la Commission appelle de ses vœux…

Il faudra attendre la session de printemps du Parlement appelé à se prononcer sur le volet 2 de la Loi pour le Développement de la Concurrence au Service des Consommateurs pour mieux apprécier l’étendue des modifications des règles de marché non seulement dans le secteur de la grande distribution, mais également de façon plus générale, dans les autres formes et circuits de distribution.