« Nouvelle conquête pour nouveaux consommateurs », par Dr.Philippe Villemus


Conférence par {{Dr.Philippe Villemus}},
_ {ex-Président International de Helena Rubinstein}





{{{Valeur, innovation et conquête}}}
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_ Il existe trois notions importantes : la valeur, l’innovation et la conquête. Ces trois notions peuvent être mises en relation avec trois thèmes essentiels de la vie en entreprise : la démotivation, la délocalisation et la différenciation. Le problème de la valeur est en grande partie lié à la différenciation. Il n’existe pas de remède miracle aux problèmes de conquête de clients, de conquête de marché ou d’accroissement de la valeur. Plusieurs questions doivent être maintenant soulevées : comment aider les entreprises à optimiser leur potentiel de croissance ? Comment conquérir des clients ? Peut-on croire en l’innovation et en la différenciation ? Comment redonner confiance aux clients dans les produits, les services et les marques ?
_ Il n’existe pas de réponse dans l’absolu. L’histoire de l’humanité a connu, au total, cinq prophètes juifs. Le premier, Moïse, a dit : « Tout est Dieu ». Le second, Jésus-Christ, a dit : « Tout est amour ». Le troisième, Karl Marx, a dit : « Tout est argent ». Le quatrième, Freud, a dit : « Tout est sexe ». Quant au cinquième et dernier, Einstein, il a dit : « Tout est relatif ». Le problème de conquête de la valeur, de l’innovation et de la conquête de nouveaux clients est donc une donnée extrêmement relative. Relative aux entreprises ou aux enseignes, aux projets ou à la stratégie de l’entreprise, à sa culture, ou encore à l’ensemble des techniques et des modes de management pratiqués dans l’entreprise, du plus haut sommet jusqu’au simple magasinier. Mais cette donnée est surtout relative à la volonté et à la capacité de changer les choses…
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– {{La coupe du monde de rugby, de la vente d’émotion}}
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_ La coupe du monde de rugby 2007 a développé un engouement médiatique et populaire exceptionnel. Dans de nombreux pays européens où la place du rugby est très importante (France, Angleterre, Nouvelle-Zélande…) ainsi que dans certains pays dont le rugby n’est en aucun cas le sport le plus populaire, les records d’audience ont été grandement battus. Ce sport, encore incompréhensible pour beaucoup de personnes, soulève certaines questions. Pourquoi les stades sont-ils pleins ? Pourquoi les chaînes de télévision battent tous les records d’audience ? La moitié des spectateurs et téléspectateurs sont des femmes. Pourtant, selon les différentes enquêtes réalisées, les femmes ne comprennent pas ce jeu.
_ Alors pourquoi un tel engouement ? Aujourd’hui, le public ne désire pas acquitter une importante somme d’argent pour acheter un billet. Le public ne veut pas voir des mêlées, des plaquages ou encore des pénalités ; en allant voir ces matchs, il va voir de l’émotion. Les gens ne comprennent pas toutes les règles, mais ils partagent un instant d’émotion, devant leur poste de télévision ou au stade. Et pour faire fructifier ces émotions, depuis la coupe du monde de football en 1998, les organisateurs de ces grands évènements sportifs ont compris ce qu’il fallait vendre : non pas un simple ticket pour un match de football ou de rugby, mais un véritable moment d’émotion. Et dès lors que l’on vend un moment d’émotion et non plus un produit, il est possible de le vendre beaucoup plus cher, par exemple en sur-segmentant, comme le font les organisateurs de ces grands rassemblements.
_ Il existe aujourd’hui trente-six types de billets pouvant être vendus, dont les prix vont du plus populaire au plus luxueux possible, entourés de divers services (place de parking, restaurant, loge, hôtesse, cadeaux…).
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{{{Un environnement économique, culturel, social et politique en changement}}}
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_ Jamais dans l’histoire de l’humanité la pression pour le changement dans la société et le domaine de l’entreprise n’a été aussi forte, et cela pour sept raisons.






– {{La croissance de la complexité}}
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_ De nos jours, quelque soit le domaine concerné (automobile, informatique, habillage…), faire du business devient de plus en plus complexe. Les horizons de planification, c’est à dire la capacité qu’ont les entreprises à prévoir le futur, se raccourcissent. Jamais les entreprises n’ont eu besoin de prévoir à aussi long terme (les prévisions pouvant s’étendre de cinq à vingt ans). Mais le paradoxe, réside dans le fait que l’on ne connaît en aucun cas l’évolution de son propre marché. Dans le domaine de l’informatique, une innovation permettait 5 à 7 ans de stabilité à une entreprise dans les années 60, elle en permettait 3 dans les années 1970, et une a une et demie dans les années 1980.
Mais de nos jours, les ordinateurs ou appareils photos numériques changent tous les trois mois et sont toujours plus performants et moins chers. Les interactions entre le monde économique, social, politique et technologique sont beaucoup plus importantes. De plus, les changements sont presque inexplicables. Quelques années plus tôt, il était parfois demandé aux entreprises d’expliquer les succès ou les échecs des produits lancés sur le marché. Il était alors possible de trouver une explication. De nos jours, il est presque impossible de justifier un succès ou un échec. Et c’est d’ailleurs le cas de nombreuses entreprises.
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– {{La croissance de la pression}}
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_ Cette pression s’effectue sur les collaborateurs, sur les entreprises ainsi que sur les dirigeants. Depuis dix ans, avec la globalisation, le monde a découvert un nouvel empire : la Chine. La Chine est actuellement en train de bouleverser la donne économique dans de nombreuses entreprises. Il existe aujourd’hui une très forte pression sur les entreprises générées par les marchés financiers (n’impliquant pas uniquement les entreprises cotées en bourse mais toutes les entreprises, y compris les PME).
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– {{La croissance de la pression sur les coûts et les prix}}
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_ En Europe, mis à part les différentes sources d’énergie (en particulier le pétrole) et l’immobilier (actuellement en augmentation), toutes les autres catégories de produits ou de services subissent une très forte pression sur la baisse des coûts et des prix. Certaines entreprises sont d’ailleurs obligées de délocaliser pour suivre le mouvement. Mais jamais la pression sur les coûts et les prix n’a été aussi forte. Certains praticiens ou auteurs s’interrogent : les clients vont-ils devenir de simples chasseurs de primes ou de promotions ?
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– {{La société bascule du matériel à l’immatériel.}}
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_ D’abord « industrielle », notre société est devenue une société exclusivement basée sur les services. Ce changement implique que les entreprises deviennent non plus des vendeurs de produits ou de services mais des vendeurs de projets.
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– {{Le changement de la demande}}
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_ Un vieillissement de la population européenne a commencé à exercer une forte pression sur les entreprises, au niveau des marques et des politiques de marketing. En effet, une population vieillissante est une population plus expérimentée, plus éduquée, qui commence à comprendre les principes fondamentaux du marketing, à mieux appréhender la superficialité de la fausse valeur ajoutée, qui sait ce qu’est le véritable rapport qualité/prix et qui connaît la vraie valeur des choses.
_ Deuxième changement de la demande : l’augmentation des revenus. Dans certains pays européens, la précarité augmente et des couches de population sont toujours pauvres. Mais sur une période de vingt à trente ans, le pouvoir d’achat et le niveau de vie ont augmenté. Et cette augmentation va continuer dans les années à venir.
_ Troisième changement de la demande : l’augmentation considérable du taux de propriété des maisons en Europe. Cette augmentation change les habitudes de consommation, de déplacement et de mobilité des foyers.
_ Quatrième changement de la demande : le nouveau rôle de la femme. En Europe, les femmes travaillent de plus en plus, se marient de plus en plus tard, font de moins en moins d’enfants et, souvent, vivent dans des familles monoparentales. Les femmes sont donc moins disponibles pour les tâches ménagères ou pour faire les courses, ce qui aura une influence majeure sur la consommation européenne.
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– {{Les quatre « tendances-clés »}}
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_ Ces tendances ont vu le jour aux Etats-Unis et au Japon. Il fallait auparavant près de trois ou quatre ans pour que nous parviennent les tendances développées outre-atlantique, mais le délai est maintenant d’un an. Ces tendances-clés vont avoir d’importantes répercussions en Europe. La première de ces tendances pourrait s’intituler « Taking Care Of Myself », soit la volonté du consommateur de prendre soin de lui-même et de son corps, explique l’explosion des dépenses de santé, de la nourriture dite « saine » ou « propre », des instituts, des crèmes de beauté, des lunettes, des shampoings…
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_ La deuxième tendance-clé appelée « Questing » fait référence à la « quête » de nouvelles expériences du consommateur. Nous avons assisté, en Europe, à un fort développement des formations complémentaires, des universités pour les retraités ou encore des formations d’apprentissage. Le client recherche de nouvelles expériences et il est assez impressionnant de constater que dans certains pays européens, en l’espace d’une décennie, certaines générations totalement fermées aux nouvelles technologies de l’information (comme l’informatique) se sont rapidement converties à l’utilisation de l’ordinateur. La société est à la recherche de nouveaux goûts et de nouvelles éducations.
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_ Troisième tendance-clé : la connectivité. Il y a sept ou huit ans, les consommateurs étaient encore dubitatifs vis-à-vis du développement des nouvelles technologies de l’information (Internet, par exemple). Mais la volonté de rester en contact, via la téléphonie mobile ou Internet, risque de devenir une donnée fondamentale des consommateurs et clients dans les années à venir.
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_ Quatrième et dernière tendance-clé, qui n’est pas nécessairement positive : la recherche du « style individuel », ou la montée de l’individualisme. Bien qu’il ne s’agisse pas forcément d’une bonne nouvelle, cela reste une réalité. Les gens pensent d’abord à leur propre personne et sont de plus en plus individualistes. Certains diront même qu’ils sont devenus égoïstes.
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– {{La montée des émotions}}
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_ Les gens sont à la recherche d’émotions, d’où le succès planétaire des grands parcs d’attractions ou des grands évènements médiatiques ou sportifs. Un grand écrivain français, André Malraux, a dit : « Le 21e siècle sera religieux ou ne sera pas ».
Le 21e siècle ne sera probablement pas religieux, il sera avant tout émotionnel. Les consommateurs vont assister à de grands évènements car ils sont à la recherche d’émotions. Car dans une société où il n’est plus possible d’extérioriser ses émotions, les grands évènements et les grands spectacles sont les derniers lieus où l’individu peut crier, chanter, pleurer, et parfois même insulter plus ou moins librement.
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{{{Qu’est-ce que la valeur ? Le prix ? La qualité ?}}}
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_ Face aux changements clés de l’environnement économique, il faut chercher à définir certaines notions.
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– {{Qu’est-ce que la valeur d’un produit, d’une marque, d’une enseigne ou d’une entreprise ?}}
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_ C’est une addition. Une somme de valeurs matérielles et de caractéristiques immatérielles (service, image de marque, notoriété…). La puissance d’une marque s’obtient grâce à la synthèse cohérente de ces deux concepts. Certaines marques de luxe sont très cohérentes car elles fabriquent des produits d’une extrême qualité matérielle couplée à une image remarquable. Ces entreprises font donc beaucoup de profits. D’autres marques vendant des produits médiocres et ayant une image populaire sont toutefois très cohérentes et très performantes. Elles gagnent également beaucoup d’argent. La cohérence est une notion importante pour ce qui est de la valeur d’une marque ou d’une entreprise. Il s’agit de la cohérence globale entre le prix, la qualité matérielle et intrinsèque du produit et les valeurs immatérielles, (image, accessibilité, soit ce que l’on appelle la sélectivité).
Au final, la valeur d’une marque ou d’un produit est évaluée en fonction de ce que le consommateur est prêt à payer.
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– {{Qu’est-ce que la qualité ? Comment appréhender le rapport qualité/prix ?}}
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_ Les Japonais nous ont appris quelque chose de fondamental en ce qui concerne la qualité d’un produit. Pendant de nombreuses décennies, les entreprises européennes et américaines pensaient que la qualité d’un produit représentait la conformité à certaines normes établies, qu’elles soient industrielles ou même dans les habitudes de leur personnel. Cette opinion est aujourd’hui totalement dépassée, et les Japonais nous ont appris que la qualité d’une entreprise, d’une marque ou d’un produit, est en réalité l’aptitude globale qu’a l’entreprise à satisfaire les besoins du consommateur. Cela signifie donc qu’il faut améliorer la qualité d’un produit en permanence. La qualité n’est en aucun cas en relation avec une norme ou un standard. Bien sûr, il faut des normes. Mais celles-ci ne concernent pas le consommateur. Ce besoin de satisfaction du consommateur peut être explicite (sondages, enquêtes marketing…) ou implicite, ce qui est beaucoup plus difficile. Implicitement, les besoins concernés sont ceux que le consommateur n’est pas capable d’exprimer lui-même. C’est en réalité l’offre de l’entreprise qui fait émerger le besoin caché du client.

Pourquoi des personnes à même de juger de la qualité d’un produit, sont prêtes à dépenser près de 200 euros pour une cravate Hermès ? Une cravate peut en effet coûter 10 € dans un centre commercial Carrefour. Cette réflexion vaut également pour les rouges à lèvres, les sacs à main, les costumes… Pourquoi acheter des produits aussi chers ? En observant certaines analyses effectuées auprès de l’industrie du luxe, trois réponses surviennent : il est ici question de qualité, d’image et de prix.
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_ Première notion : le luxe représente une qualité supérieure. Certaines entreprises (ou marques) possèdent des produits d’une qualité remarquable et ne sont pas considérées comme marques de luxe ! Il existe également certaines marques se vendant très cher, se disant marques de luxe, et qui pourtant ne sont pas de très bonne qualité… Le mot qualité est donc très perturbant.
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_ Deuxième notion : l’image. Certaines marques investissent beaucoup en publicité, en notoriété ou en réputation et ont acquis une image de qualité si forte qu’elles peuvent se permettre de vendre leurs produits plus cher… Toutefois, Coca-Cola possède une remarquable image mais ce n’est pas une marque de luxe. Ainsi, l’image n’est pas un critère suffisant.
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_ Dernière notion : le prix. Le prix en lui-même n’est pas une réponse à la question posée. En effet, bien que le prix d’une voiture Clio soit de 11 000 €, il ne s’agit pas pour autant d’un produit de luxe alors qu’un rouge à lèvres Chanel coûte 16 €, et il s’agit bel et bien d’un produit de luxe.
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– {{Définition du luxe}}
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_ Une marque de luxe se caractérise par cinq éléments qui font que le consommateur va payer ou pas un produit au prix fort alors qu’il ne serait finalement pas si différent des autres.
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_ {{L’expertise}}
_ Il est préférable de parler d’expertise plutôt que de qualité. On ne peut savoir si un costume de la marque « Armani » est un costume de qualité. Par contre, nous savons que Giorgio Armani est un expert. Il est couturier de métier et concepteur de nombreux costumes. Les sacs « Hermès » sont relativement chers, mais ce dont nous sommes sûrs, c’est que cette marque est experte dans le domaine du cuir et de la soie.
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_ {{La proximité}}
_ Il s’agit là d’un critère très important. Avec le temps, l’expérience et les investissements, les marques de luxe ont réussi à établir une notion de proximité avec les clients. Dans les magasins de marques de luxe, le client est traité différemment. On lui offre parfois des cadeaux supplémentaires, l’accueil est parfois plus soigné. La proximité se construit avec le temps.
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_ {{La sélectivité (ou maîtrise) de la distribution}}
_ La marque « Hermès » possède environ 200 boutiques dans le monde entier. La marque « Chanel » possède un peu moins de 10 000 points de vente en Europe. Cette entreprise subit par ailleurs une très forte pression afin d’élargir sa distribution. Il faut ainsi retenir que c’est la marque qui fait la sélectivité du magasin, et non le contraire.
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_ {{Un point de vue sur le monde}}
_ Les marques de luxe et les grandes entreprises performantes ont acquis un véritable point de vue sur leur métier, mais également sur le monde. Pour être considérée comme « marque de luxe », une marque doit avoir une vision originale et différenciée du monde, vision qu’elle impose et fait évoluer avec le temps, mais à laquelle elle reste fidèle.
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_ {{Les marques de luxe sont vendeuses d’émotions}}
_ Les marques de luxe « vendent du rêve »… Dans un magasin d’usine, on vend des cosmétiques. Mais en parfumerie, on vend de l’espoir. Ces marques et entreprises ont réussi à transformer leur métier de producteur en vendeur d’émotions.
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{{{Comment accroître sa part de marché, le nombre de ses clients et la valeur ajoutée ?}}}
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_ La compétition économique n’est pas une guerre en soi, mais il est nécessaire de s’inspirer de ce que nous ont appris les hommes politiques et militaires à propos des grands conflits. Il existe quatre façons de faire la guerre : la première a lieu sur le même terrain et avec les mêmes armes que l’ennemi. La deuxième a lieu sur le même terrain, mais les armes sont différentes. La troisième se situe sur des terrains différents mais les armes sont les mêmes que celles de l’ennemi. Quant à la quatrième façon, elle se situe sur des terrains distincts, avec des armes différentes.

_ {{La première façon}} de guerroyer fait référence à la bataille de Verdun. Ce conflit fit 700 000 morts. Le risque pour la civilisation était maximum et le risque pour le commandant était minimum.
_ {{La deuxième}} évoque la guérilla. Pour citer « Le Petit Livre Rouge » de Mao Zedong : « Quand l’ennemi avance, nous reculons ; quand l’ennemi cantonne, nous le harcelons ; quand l’ennemi recule, nous le poursuivons. »
_ {{La troisième façon}} : sur un autre terrain, avec les mêmes armes que l’ennemi fait référence au « D-Day », le jour du débarquement. Plutôt que de débarquer nos forces là où l’ennemi attend, on préférera les falaises les plus compliquées.
_ Enfin, {{la quatrième façon}} de guerroyer évoque Akaba. Il s’agit d’un port sur la Mer Rouge, détenant la péninsule arabique, armé de canons, qui fut pris par Lawrence d’Arabie. Le risque pour les civilisations est minimum, tandis que le risque pour les chefs est maximum.

De ce fait, il faut faire « Akaba » sur le plan économique. Le choc frontal, sur le même terrain avec les mêmes armes, représente la guerre des prix. Si une entreprise évalue ses produits au même prix que la concurrence, le vainqueur sera de toute évidence celui qui baisse ses prix le premier. La valeur ajoutée représente la guerre sur le même terrain, mais avec des armes différentes. Cette valeur ajoutée produit des fonctionnalités supplémentaires sur un produit ou des services supplémentaires. En ce qui concerne la troisième méthode, sur un terrain différent avec des armes similaires, il s’agit de la méthode développée par les industries de produits de luxe, qui crée son propre marché ailleurs.
Mais faire « Akaba » sur un plan économique signifie bénéficier d’avantages compétitifs durables, et utiliser de fortes techniques de différenciation sur des terrains où l’on n’est pas attendu. Pour réussir, il faut donc utiliser cette technique.
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– {{« Soyez SMAC »}}
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_ Il existe un concept appelé « Soyez SMAC ». « S » comme « spécifique », soit la nécessité d’être différent des autres entreprises. « M » comme « mesurable », car une innovation n’est gagnante que si celle-ci est mesurable par le consommateur. « A » comme « accessible », plus particulièrement au niveau des prix. Innover en restant dans la gamme de prix des concurrents est une chose compliquée. « C » comme « cohérent », car il existe une cohérence indispensable entre le produit vendu par l’entreprise, son prix, et les qualités immatérielles entourant la vente effectuée.

Toutefois, comment faire pour accroître la valeur ajoutée ? Il existe sept éléments de réponse. Premièrement, il est nécessaire {{d’avoir un point de vue original}} sur son métier et sur le monde. Deuxièmement, il faut {{agir vite}}. La croissance du monde économique s’accélère et les entreprises pouvant réussir dans le cadre de cette croissance sont celles capables de s’adapter et de changer très rapidement de stratégie et de tactique commerciale. Troisièmement : {{l’ouverture}}. Jamais la connaissance du marché et la connaissance des besoins du consommateur n’ont été aussi importantes. Quatrièmement : la {{stimulation des marchés}}. Il est nécessaire de dynamiser les marchés en déclin, comme par exemple le marché du cinéma. Depuis maintenant trois ans, la fréquentation des salles de cinéma en Europe a augmenté, bien que tout laissait à croire il y a dix ans que le marché du cinéma n’avait plus aucun avenir, principalement à cause du développement du DVD et d’Internet. Cinquièmement : {{la rupture}}. Il est nécessaire de créer des ruptures pour engendrer la sixième notion connue pour accroître la valeur ajoutée : {{la surprise}}. Les clients doivent être surpris par des opérations ou des promotions originales. Septième et dernière notion : il faut devenir vendeur d’émotions, quel que soit le domaine concerné.
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– {{Conclusion}}
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_ L’attention doit être portée sur la connaissance des marchés, la connaissance des besoins explicites et implicites du consommateur, et surtout sur la différenciation des concurrents et adversaires. Il est également nécessaire d’instituer, dans les équipes de travail, la « mission du service ». Cette mission est très importante et doit toucher toute la chaîne du management. Si l’on donne une fonction à ses collaborateurs, ceux-ci vont devenir fonctionnaires. Si l’on accorde une prime à ces mêmes collaborateurs, ils vont devenir des chasseurs de primes. Mais si une véritable mission leur est confiée, ils deviendront des missionnaires. Et ce sont les missionnaires qui ont conquis le monde. Dans une entreprise, tout le monde doit être formé.

La compétition économique est dure et féroce. Dans une économie libérale et capitaliste comme celle dans laquelle nous vivons aujourd’hui, un président ou un directeur général aura toujours plus d’impact sur les chiffres d’affaires de son entreprise et la valeur ajoutée qu’un ouvrier ou une secrétaire. C’est aujourd’hui une réalité. En revanche, le directeur général, l’ouvrier, la secrétaire et le client ont tous droit au même respect. Il faut respecter les entreprises, les collaborateurs, et surtout les clients. Car si l’on ne peut respecter autrui, on ne peut se respecter soi-même.
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{{{Questions}}}

{{Olivier DAUVERS}},
_ {Rédacteur en chef « La Tribune Grande Conso »}


_ Dans votre conclusion, vous avez parlé du respect envers le client. Je pense à présent à Steve Jobs, président de la firme « Apple », dont la dernière innovation (iPhone) a déjà été dégradée de 200 $, ce qui représente environ 33% de baisse après seulement trois mois de commercialisation. Je me suis donc demandé si Steve Jobs, sur cet aspect en particulier, n’avait pas eu tout faux ?



{{Philippe VILLEMUS}}
_ Je ne connais pas les détails de cette affaire, et je me méfie toujours des informations que l’on peut lire dans la presse. Toutefois, s’il a réellement agi de la sorte, il s’agit en effet d’un manque de respect envers le client. Mais au-delà de la question même de l’irrespect, je décrirais plutôt sa manière d’agir comme une façon de donner la priorité au très court terme sur le management à très long terme. Aujourd’hui, dans de nombreuses entreprises, le débat entre le court terme et le long terme est extrêmement prégnant.
Lorsque je parle de la nécessité de voir l’entreprise à très long terme, on me rappelle que les échéances sont fixées au trimestre suivant. Il est bien évident que l’on ne peut avoir de vision à long terme si l’on perd de l’argent à court terme. En revanche, certaines entreprises gagnent beaucoup d’argent à court terme et, par manque de vision à long terme, investissent mal. Cela marche donc dans les deux sens : il faut gagner de l’argent à court terme, à condition d’avoir une vision à long terme.



{{Olivier DAUVERS}}
_ Vous nous avez donné comme l’un des attributs des marques de luxe, le prix. Si vous étiez à la tête de la firme « Hermès », vous paraîtrait-il plus important de stocker vos produits dans un magasin d’usine ou de les brûler ?



{{Philippe VILLEMUS}}
_ C’est une question difficile. Mais je crois que je ne déstockerais pas, au moins dans un premier temps.



{{Olivier DAUVERS}}
_ Mais plus généralement, le déstockage est-il une stratégie marketing dangereuse pour les marques ?



{{Philippe VILLEMUS}}
_ Pas toujours. D’ailleurs, le déstockage se fait également au-delà des magasins d’usines. Certaines marques de luxe déstockent leurs produits quand les nouveaux arrivent. Environ 25% du chiffre d’affaires s’effectue grâce aux arrivages de nouveaux produits, ce qui signifie qu’au bout de 5 ans, pour certaines entreprises, tout le catalogue doit être jeté.



{{Olivier DAUVERS}}
_ Vous avez également parlé de rupture. Si vous ne possédiez pas l’expérience du parcours en entreprise, je vous aurais taxé d’universitaire ou d’utopique. Mais la recherche de cette rupture ne reste-t-elle pas la plus grande utopie ?



{{Philippe VILLEMUS}}
_ La rupture est nécessaire, j’en suis convaincu. D’un point de vue macro-économique, notre continent est confronté à une montée en puissance de la Chine et des autres pays émergeants. Aujourd’hui, les entreprises européennes voulant survivre n’ont que deux stratégies à leur disposition : elles doivent provoquer une rupture grâce à des produits différents et originaux, ou délocaliser en Chine. Car, dans le cas contraire, elles ne pourront pas résister à la baisse des prix provoquée par les produits chinois. Prenons un exemple concret : dans près d’un an, la Chine sera apte à vendre une voiture pour la somme de 1 500 €, alors que le prix moyen d’une voiture en Europe est de 10 000 €.



{{Olivier DAUVERS}}
_ La question de l’émotion est un débat important pour les opérateurs des centres de marques. Est-il correct de faire venir les clients dans ces centres de marques pour autre chose que du shopping pur et dur ?



{{Philippe VILLEMUS}}
_ Une émotion doit être populaire et accessible qu’elle soit positive ou négative. On y trouve parfois la peur, la haine et la violence mais également l’amitié, le courage, l’esprit d’équipe… Comme lors des manifestations sportives. Ainsi, l’émotion ne représente pas forcément un investissement de luxe. Faire ses courses chez « LIDL », par exemple, peut générer le sentiment de ne pas payer cher, d’être rationnel, d’être conscient de ce que représentent les économies… C’est d’ailleurs pour le moins étrange que le hard-discount ait été créé en Allemagne, pays le plus riche d’Europe. Mais pour une branche de la population, faire ses courses dans des magasins « hard-discount » était une manière de militer contre le coût élevé de la vie.

{{{Echanges avec la salle}}}

{{De la salle}}
_ Ne pensez-vous pas qu’à un certain moment, les chinois auront des problèmes de gestion avec l’augmentation du taux-horaire ?




{{Philippe VILLEMUS}}
_ Pas avant trente ans. Je risque de paraître provocateur aux yeux de certains, mais cela est nécessaire, car la Chine n’est pas un pays comme les autres. Si elle l’était, vous auriez raison.
Malheureusement pour nous, la Chine est un pays très différent du nôtre, et ce pour deux raisons. Premièrement, un sixième de l’humanité est aujourd’hui chinoise. Deuxièmement, les chinois ont un réservoir de population et de main-d’œuvre à bas coût presque illimité. Mais il existe en réalité trois Chine.
_ Premièrement : la Chine orientale. Celle que nous visitons lors de voyages d’affaires, qui s’étend de l’ouest de la Corée du Nord jusqu’à Taiwan. Elle inclut donc de nombreuses villes comme Shanghai, Pékin ou Canton. C’est une Chine littorale en passe de devenir très riche. Elle compte 200 millions d’habitants, mais le niveau de vie moyen n’atteint pas celui des européens.
_ Deuxièmement : les restes de la Chine industrielle instaurée par Mao Zedong, où l’on va chercher la main-d’œuvre nécessaire aux usines implantées sur le littoral chinois. On dénombre près de 800 millions d’habitants, gagnant moins de 2 $ par jour.
_ Puis, dernièrement : la Chine du tiers-monde. Une Chine parfois très islamisée, où les occidentaux ne vont jamais, pouvant constituer un lieu de troubles civils autant qu’un grand réservoir de main-d’œuvre. La Chine n’est pas un pays démocratique et cela ne fait que quelques mois que les chinois ont le droit de faire prolonger leur visa lorsqu’ils désirent se déplacer.
_ Les chinois n’ont en réalité pas le droit de se mouvoir librement de province à province. Les grandes entreprises en partenariat avec la Chine se déplacent parfois dans certains villages, demandent aux habitants de monter à bord d’un bus et les conduisent à l’usine sur le littoral, pour une durée de travail pouvant atteindre six mois. Les ouvriers doivent dormir sur leur lieu de travail. Ils sont parfois reconduits dans leur village et, si ce n’est pas le cas, comme ces gens ne possèdent pas de visa, ils deviennent des sans-abri.

{{{Conclusion}}}

{{Olivier DAUVERS}}
_ Pour conclure cette intervention, je citerai Edouard Leclerc qui a dit, en 1958 : « Les prix bas, les pauvres en ont besoin et les riches en raffolent ».